Jérar Dépardiev
L'affaire Depardieu m'a inspirée, peut-être au-delà du raisonnable.
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L'affaire Depardieu m'a inspirée, peut-être au-delà du raisonnable.
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Voici deux bonshommes d’une petite cinquantaine d’années. Le premier s’appelle Dmitri Bykov, il est écrivain et versificateur, rondouillard, avec une bonne tête de canaille des cours de maternelle. Le deuxième est Mikhail Efremov, un acteur dramatique connu, avec un visage expressif et incroyablement malléable.
Ces deux joyeux larrons ont fait sortir les classiques de la poésie russe et étrangère des manuels de littérature pour les faire entrer dans le ring du combat politique, avec un succès fulgurant.
La formule du projet « Citoyen poète » est simple : les deux co-auteurs prennent un sujet d’actualité politique, souvent lié au président Poutine ; Bykov l’écrivain choisit un poème connu et écrit une version parodique sur le sujet d’actualité choisi ; Efremov l’acteur le lit devant une caméra ; la vidéo est mise en ligne sur Internet.
C’est tout ?
C’est tout, mais nous sommes en Russie, où la poésie circule beaucoup plus qu’en France et où certaines références littéraires et poétiques sont largement connues et utilisées dans le discours. C’est tout, mais les deux compères ont un talent fou et leurs parodies sont un feu d’artifice d’humour corrosif.
Des millions de visionnages, des spectacles, un livre, un DVD, et même une application pour Iphone : la mayonnaise prend et « Citoyen poète » devient un pourvoyeur de slogans et d’inspiration pour l’opposition politique.
Donner un exemple n’est pas simple, car les textes sont pleins de lieux communs et de sous entendus propres à la vie politique russe, mais essayons-nous à l’exercice. Voici Vladimir Poutine qui, dans une séance de questions réponses à la télévision, est interrogé sur ce qu’il pense des opposants qui ont manifesté contre lui. En guise de réponse, il les accuse d’être à la solde de l’étranger :
« Il y a des gens qui ont un passeport de citoyen de la Fédération de Russie, mais agissent dans les intérêts d’un Etat étranger, avec de l’argent étranger. On va essayer d’établir un contact avec ces gens-là aussi, mais souvent c’est inutile ou même impossible. Que puis-je dire à ces gens-là ? Voilà ce qu’on peut leur dire à la fin : venez vers moi, Bandar-Logs ! »
Stop ! Le clignotant s’allume chez Bykov et Efremov. Les Bandar-Logs, c’est le peuple des singes sans foi ni loi dans « Le livre de la Jungle » de Rudyard Kipling. La machine poétique se met en place et voici, quelques jours plus tard, une parodie au vitriol, « La nouvelle loi de la Jungle ».
Dans cette jungle nouvelle, le pouvoir est détenu par Poutine sous les traits du serpent Puu, en référence au python Kaa chez Kipling. «Russie Unie », le parti du pouvoir, devient l’« Inde Unie ». L’ours Baloo , c’est bien sûr Dimitri Medvedev dont le nom de famille signifie « Ours » en russe. Le tigre Shere-Khan est remplacé par « Alisher-Khan », désignant le millardaire fidèle à Poutine Alisher Ousmanov. Pas besoin de renommer le servile chacal Tabaqui du « Livre de la Jungle » : tout le monde comprend qu’il s’agit du célèbre acteur et directeur de théâtre Oleg Tabakov qui a récemment affirmé son soutien à Poutine.
Tout le monde est fidèle au python Puu, sauf les Bandar-Logs qui écrivent dans leurs Bandar-Blogs. Il essaie de faire sa danse de serpent pour les effrayer, sans effet. Quelle horreur ! Il se rend compte qu’il n’a pas devant lui des singes, mais une foule de petits hommes, de petits Mowgli . « Il n’y a qu’une loi dans la jungle : le python ne peut parler qu’à des singes. Il ne sait pas parler aux humains », conclut le poème. Le message est clair : Poutine ne comprend ni la protestation qui prend forme devant lui, ni les motivations et l’exigence de respect de ceux qui protestent.
Plus de 500 000 visionnages et des citations à gogo pour ce nouveau classique de littérature pas vraiment enfantine. La phrase heureuse de Poutine est lancée le 15 décembre ; le 18 décembre la vidéo est mise en ligne ; le 24 décembre le python Puu est sur les affiches des manifestants de l’opposition.
"Puu prisonnier des Bandar-Logs"
"Nous sommes venus vers toi, Puu!"
"Notre loi n'est pas celle d'une jungle" / "Le python ne peut parler qu’à des singes. Il ne sait pas parler aux humains"
"Arrêtons de nourrir le python" (remarquez ici la double référence à Kipling et au "Petit Prince" de Saint Exupéry).
En près d'un an, les comparses ont sorti près d'une cinquantaine de parodies, basées sur les textes d'une quarantaine d'auteurs classiques ou juste très connus. Pouchkine, Maiakovski, Mikhalkov, Gogol, Vyssotski, mais aussi Shakespeare, Edgar Allan Poe... Un projet un peu élitiste, mais un peu seulement, tant les textes et l'interprétation sont irrévérencieux, accessibles et drôles.
« Tu peux ne pas être un poète/ Mais tu dois être un citoyen ». C'est à cette phrase rebattue tirée d'un poème de Nikolaï Nekrassov que le titre du projet fait référence. L'expression «Citoyen poète» a pourtant une autre connotation en russe: c'est le qualificatif de «Citoyen» que le pouvoir soviétique utilisait contre ses criminels qu'il ne voulait pas appeler «Camarade». La répression politique n'est pas très loin; elle est une ombre qui plane sur le joyeux pied-de-nez adressé par le duo Bykov – Efremov au pouvoir en place.Ksenia Sobtchak est une personne qu'il fait bon détester en Russie. Cette jeune femme de 31 ans passe pour être la Paris Hilton russe : mondaine, oisive, fortunée, provocatrice et écervelée. Animatrice de télé où elle s’est fait connaître dans des talk-shows people et des émissions de télé réalité, Ksenia affiche des tenues clinquantes et fait les délices de la presse à scandale par ses frasques mondaines et ses relations avec des hommes d’affaires fortunés. Ksenia a longtemps représenté le pire des années Poutine : la richesse ostentatoire et agressive de Moscou au détriment du reste du pays ; l’arrogance de cette nouvelle classe consommatrice, l’indifférence des nouveaux riches à la situation générale du pays, tant que leur propre bien être n’était pas en cause.
Cet écœurant vernis mondain mérite toutefois d’être un peu gratté.
Un aparté s’impose à cette étape de mon billet. Je confesse être tout à fait partiale dans mon jugement sur Ksenia Sobtchak. En 2004, avant sa vie de starlette, la jeune femme a été mon étudiante en cours de science politique. Son intelligence vive, ses commentaires pertinents et intéressés des textes assez peu glamour d’Ernest Renan ou de Pierre Bourdieu, m’ont toujours interdit de croire au personnage d’écervelée qu’elle s’est construit par la suite. J’attendais de voir…
Ksenia est née en politique. Son père, Anatoli Sobtchak, réformateur charismatique, proche de Boris Eltsine, était notamment connu pour avoir donné une impulsion à la carrière politique d’un certain Vladimir Poutine à la mairie de Saint Pétersbourg. Sa mère, Ludmila Narusova, est aujourd’hui sénatrice de la Fédération de Russie et fidèle du même Poutine.
Née en 1981, Ksenia a mené une vie de jeune fille soviétique de bonne famille privilégiée : anglais approfondi à l’école, cours de ballet et cours de peinture dans les deux institutions culturelles les plus prestigieuses de la ville, le théâtre Mariinski et le musée de l’Ermitage. Elle a huit ans lorsque son père devient député dans la première assemblée soviétique démocratiquement élue, dix ans quand l’URSS s’effondre et que son père devient le premier maire de Saint Pétersbourg élu au suffrage universel.
La brillante carrière d’Anatoli Sobtchak sera stoppée net quelques années plus tard. Ksenia a seize ans lorsque son père est accusé de corruption et traduit en justice. Seize ans, un âge où les petites filles gâtées doivent être particulièrement insupportables. La jeune femme d’aujourd’hui en est d’ailleurs consciente, confessant dans un récit poignant son indifférence adolescente au drame que vivait alors son père, interpellé, interrogé, hospitalisé avec des problèmes cardiaques et enfin forcé à fuir la Russie pour se réfugier en France où il restera de 1997 à 1999. Huit mois après son retour en Russie, en février 2000, il décèdera d’un infarctus.
Vladimir Poutine a joué un rôle important dans les dernières années de vie de Sobtchak, son ancien patron. C’est notamment lui qui a personnellement organisé la fuite du père de Ksenia en France. Lorsque Sobtchak rentre en Russie, Poutine est quasiment au pouvoir : quelques semaines plus tard, il sera désigné par le président Eltsine comme son successeur. A l’enterrement d’Anatoli Sobtchak, Poutine est au premier rang aux côtés de la famille.
A la mort de son père, Ksenia a dix-huit ans. L’année suivante, elle déménagera à Moscou et s’inscrira à la prestigieuse et corrompue Université d’Etat des Relations Internationales. L’ambiance de cette université est assez spéciale : les étudiants y viennent au volant de voitures coûteuses, les couloirs sont des défilés de mode, les jeunes filles se cherchent de bons fiancés et les jeunes gens, futurs diplomates, hauts fonctionnaires ou hommes d’affaires, claquent l’argent de leurs parents. Ksenia se joint de bon cœur au mouvement, mais, éducation familiale oblige, ne néglige pas les études. En 4e année à l’université, elle fait pour la première fois scandale en se faisant voler des bijoux, offerts par un de ses amoureux, d’une valeur cumulée de 580 000 USD.
Dans les années 2000, après l’université, Ksenia se jette à corps perdu dans le showbiz, plonge dans le glamour comme on plonge dans la drogue. Elle est animatrice télé, elle pose dévêtue pour des revues de mode, se montre au bras d’hommes fortunés et gagne rapidement le statut de mondaine n°1 de la Russie. Sa mère fait une belle carrière politique de son côté, dans différentes administrations poutiniennes. Cette vie-là durera près de dix ans, pendant lesquels le nom des Sobtchak sera étroitement associé à celui du clan Poutine.
En 2011 pourtant, Ksenia rejoint les rangs des opposants qui condamnent les fraudes électorales et demandent le départ de Vladimir Poutine.
Pourquoi ce revirement soudain ? Ksenia s’explique dans une interview à la télévision, confessant sa difficulté à s’opposer à l’homme à qui sa famille doit tant.
« Je ne peux pas trahir les idéaux de mon père et je ne peux pas trahir mes propres intuitions. Il y a un moment où ces intuitions sont devenues plus importantes pour moi que le respect que je ressens pour l’homme [Vladimir Poutine – N.d.A] qui à un moment donné, dans un moment difficile, a aidé ma famille. Il y a un moment où tu comprends que d’un côté de la balance tu as un immense respect humain et un sentiment de reconnaissance. Humainement, je serai toujours pour Vladimir Poutine, car il fait partie de mon histoire familiale et il était le seul à vraiment nous aider, ça aussi c’est la vérité [...]. Mais d’un autre côté, quand cet homme-là fait des choses qui non seulement me blessent intellectuellement, mais qui font que je ne peux pas passer à côté d’une injustice manifeste. […] Il y a un moment où cela s’accumule et tu comprends qu’en passant à côté, tu deviens toi aussi un criminel. »
Difficile pour Ksenia de se justifier : son public habituel ne l’entend plus et les intellectuels de l’opposition ne veulent pas l’écouter. Lors de la manifestation du 24 décembre 2011 à Moscou, Ksenia monte sur la tribune et fait un discours où elle affirme sa conviction que l’opposition ne doit pas être révolutionnaire et radicale, mais structurée et capable d’influencer le pouvoir en place. La jeune femme parle intelligemment, mais elle est huée par la foule qui n’écoute pas ce qu’elle a à dire : la « marque Ksenia Sobtchak » agit comme un repoussoir. Ksenia ne se laisse pas démonter. « Je n’ai pas peur d’être huée et je ne vous dirai pas que ces sifflets ne m’étaient pas adressés ».
Elle tente de changer de registre en utilisant son savoir-faire d’animatrice dans des émissions politiques. Sur la chaine Dozhd, diffusée sur Internet et principal relai de l’opposition, elle anime une série d’interviews des candidats à la présidentielle. En février 2012, la chaine musicale MTV accepte de lui confier un talk show politique. Ksenia convie à l’émission pilote, portant sur le thème « Où Poutine nous conduit-il ? » des leaders de l’opposition et des militants pro-poutiniens. L’animatrice est douée, l’émission fait une belle audience, mais la direction décide de la retirer immédiatement de sa grille « pour préciser la politique éditoriale de la chaine ». Une manière de dire que l’émission dérange ; un vrai succès d’estime aux yeux des opposants au régime.
Des flots de haine venant de tous les camps se déversent pourtant sur Ksenia. Le moindre billet qu’elle poste dans son blog est suivi de centaines de commentaires ouvertement injurieux. L’écrivain et journaliste Viktor Shenderovitch pose bien le diagnostic : les années glamour de Ksenia Sobtchak ne l’ont pas seulement discréditée en tant que personne, mais à travers le nom qu’elle porte ont discrédité le projet démocratique lui-même. « Elle est devenue un élément irritant pour les foules et une malédiction visible pour la démocratie » puisque dans l’esprit des Russes « la démocratie, ce n’est pas l’académicien Sakharov avec sa grève de la faim pour les droits de l’homme, mais la jeune fille Sobtchak avec ses diamants ».
Shenderovitch y va sans doute un peu fort en attribuant à Ksenia la responsabilité du discrédit de l’idée démocratique en Russie. Il met pourtant le doigt sur l’essentiel : Ksenia Sobtchak est un symbole pour la Russie post soviétique. Elle était la Russie glamour, moscovite, tournant le dos à ses idéaux réformateurs, sourde aux appels autres que ceux du ventre ou du portefeuille. Ksenia a changé d’horizon ; devons-nous l’interpréter comme un signe ?
« Je m’appelle Svetlana, je viens d’Ivanovo. Russie Unie [le parti du pouvoir – N.d.A.] a fait beaucoup de succès. Ils ont redressé l’économie, nous avons commencé à plus mieux nous habiller. Il n’y avait pas ce qu’il y a maintenant. Ce sont de très grands succès. »
La jeune fille interrogée par le journaliste est presque une enfant. Elle est concentrée, prend un air sérieux, esquisse une moue d’intense réflexion. Les mots sortent de sa bouche difficilement, avec des tournures lexicales et des formes grammaticales approximatives.
« - Ils ont très bien fait dans l’agriculture.
- Qu’est-ce qu’ils ont fait exactement dans l’agriculture ?
- Euh… Il y a plus de terres… euh… je ne sais pas comment le dire…on a commencé à planter plus de terres. Voilà, des légumes, du seigle, tout ça… Quoi dire d’autre. Comme nous avons un pays multinational, nous avons beaucoup de gens qui nous aident, des autres villes.
- C’est aussi un succès de Russie Unie ?
- Oui-i-i, un grand succès. Un très bon succès même… »
Sveta cherche des idées, se fait souffler des thèmes par quelqu’un en dehors de l’écran.
« - La médecine… à Ivanovo nous avons maintenant une très bonne médecine. Dans les villes on trouve facilement du travail. Il n’y a aucun problème de logement. On aide très bien les gens. »
Sveta d’Ivanovo est membre d’une organisation de jeunes pro-poutinienne, les « Nachi » [les Nôtres]. Le journaliste l’interroge à la fin d’un meeting où, armés de tambours, des adolescents comme elle, amenés en cars depuis leurs villes jusqu’à la capitale, ont scandé leur soutien à Vladimir Poutine. Mise en ligne, la vidéo de l’interview est visionnée par un million et demi de personnes et fait de Sveta la risée d’Internet.
Sa phrase maîtresse, « nous avons commencé à plus mieux nous habiller », a fait le tour du pays, jusqu’à devenir l’un des slogans ironiques des manifestants opposés au pouvoir poutinien. Un rire cruel et puéril des jeunes gens appartenant à la même génération, mais plus fortunés, plus instruits, plus sûrs de leurs capacités et de leur avenir. Un rire qui marque bien le gouffre entre les mouvements d’opposition portés par des Russes éduqués et souvent aisés et le soutien au pouvoir affiché par les catégories les plus fragiles.
« Il n’y a aucun problème de logement », affirme avec conviction Sveta dans l’interview.
La voici dans son foyer d’étudiants, dans une chambre de quatre personnes sommairement équipée et passablement délabrée. Ivanovo, ancien fleuron de l’industrie russe, notamment du textile, survit tant bien que mal depuis la chute de l’Union Soviétique. La mère de Sveta est la tisserande la mieux payée de son usine; elle touche moins de 200 euros par mois et considère avoir eu de la chance, car moins de sept cents personnes ont gardé leur place dans cette usine qui en employait autrefois près de six mille. Cependant, pour rien au monde elle ne voudrait voir sa fille travailler à l’atelier, alors tant mieux si Sveta milite dans un mouvement pro-poutinien, peut-être se fera-t-elle remarquer et pourra faire carrière.
Ce sont des jeunes gens tels que Sveta que les mouvements de jeunesse pro-poutinienne recrutent comme militants : socialement vulnérables, désœuvrés, nés dans la misère des premières années post soviétiques, devenus adultes dans une Russie poutinienne un peu moins pauvre, mais sans avenir radieux. Des jeunes gens quelquefois à la dérive, délinquants, voire violents. Les « Nachi » sont impliqués dans plusieurs affaires d’agression : ils seraient associés aux violences xénophobes visant les ressortissants du Caucase et d’Asie Centrale ; on les dit coupables de coups et tentatives de meurtre sur des journalistes. Des « Putinjugend », entend-on parfois dans les médias d’opposition.
Mais trop peu de voix s’élèvent pour faire remarquer que si des enfants comme Sveta sont manipulés par le pouvoir, s’ils sont prêts à suivre le premier venu qui leur mettra entre les mains un tambour et un slogan, la faute en incombe sans doute aux adultes qui n’ont pas su les préserver de la dérive. Qui n’ont pas su préserver de la dérive le pays tout entier.
Irina, la pépite cachée du milliardaire.
Irina Prokhorova est éditrice, intellectuelle et sœur de milliardaire.
Le milliardaire, vous en avez entendu parler au moins une fois. Mikhail Prokhorov est moins connu en France pour sa fortune que pour ses déboires avec la police française à Courchevel, où il a été interpellé pour proxénétisme en 2007, accusé d’avoir amené avec lui en vacances plusieurs prostituées. En Russie, cet épisode n’intéresse pas grand monde. Prokhorov est avant tout pour les Russes un homme d’affaires, président d’Onexim Bank et ancien président de Norilsk Nickel, leader mondial d’exploitation du nickel et du palladium. Depuis peu, Mikhail Prokhorov est aussi candidat à l’élection présidentielle, mais nous allons y venir un peu plus tard.
Si Mikhail a fait des études de finances, Irina, elle, est docteur en lettres. Critique littéraire, elle fonde en 1993 la revue « Nouvelle chronique littéraire » ou NLO en russe. Rapidement, la revue se dote d’une maison d’édition du même nom et de deux autres revues intellectuelles. L’argent de Mikhail le frère a sans doute aidé au développement de ces projets, mais personne n’en fait le reproche à Irina, car la maison d’édition et les revues révolutionnent le monde de l’édition intellectuelle en Russie. L’éditrice Irina Prokhorova est vive, ouverte sur l’étranger, à l’affût et sait s’entourer des meilleurs spécialistes, souvent très jeunes. Etre publié chez NLO devient un gage de qualité, à l’intérieur du pays comme à l’étranger. Mais l’éditrice ne s’arrête pas là. Dix ans après le lancement de NLO, elle prend la tête d’une fondation financée par son frère qui soutient des projets culturels dans différentes régions de Russie, notamment dans le Grand Nord.
Lorsque Mikhail Prokhorov se déclare candidat à la présidence de la Russie en 2012, le monde intellectuel et médiatique prend l’annonce avec ironie. Le milliardaire est soupçonné d’être un pantin du Kremlin, sensé représenter une certaine libéralisation du pays et dont on attend un désistement en faveur de Vladimir Poutine. Même s’il est le seul nom nouveau sur la liste des vieux briscards autorisés à concourir (le communiste Ziouganov, le populiste Zhirinovski, le vaguement socialiste Mironov), Prokhorov semble confirmer ces soupçons en menant une campagne très molle.
Jusqu’à l’entrée sur scène de sa sœur.
L’histoire se passe sur un plateau de télévision. Vladimir Poutine – qui refuse de participer personnellement aux débats – dépêche sur le plateau son homme de confiance, le célèbre cinéaste Nikita Mikhalkov. Mikhalkov est charismatique, arrogant, pétri d’autosatisfaction, convaincu d’être l’âme et la conscience de la Russie éternelle. Sa méthode consiste à écraser son interlocuteur de son ton « grand seigneur » et de ses références à l’âme russe et à la religion orthodoxe. Pour faire face à Mikhalkov, le milliardaire dépêche sa sœur Irina.
Le débat durera une heure, pendant laquelle Irina Prokhorova mettra littéralement K.O. son adversaire, avec sourire, intelligence et bienveillance. Mikhalkov l’attaquera sur le terrain de la religiosité, de la spiritualité, de la stabilité, de la proximité de l’Asie plus que de l’Occident, tentera de jouer sur la méfiance des gens simples à l’égard des hommes riches. Prokhorova argumentera sur la tolérance, le soutien à l’éducation, le sens civique, le développement. A la fin de l’entretien, Mikhalkov rend les armes : « si vous étiez candidate à la place de votre frère, je voterais pour vous ».
L’entretien fait l’effet d’une petite bombe dans le monde intellectuel et médiatique russe. Irina aurait dû être candidate à la place de son frère, s’exclament les observateurs. D’aucuns la qualifient d’ « Angela Merkel russe ». Mais surtout, la prestation et la personnalité d’Irina Prokhorova remettent sérieusement en question une certitude inébranlable des intellectuels opposés à Poutine : celle d’un Prokhorov-pantin, sans poigne ni programme. Peut-il être si creux, ce milliardaire-candidat, s’il a une telle perle dans son staff de campagne ?